Depuis une décennie, nous vivons un empilement de réformes. C’est comme si la SNCF était devenue le passage obligé où chaque président de la République souhaite laisser son empreinte. Réforme après réforme, réorganisation après réorganisation, tout a bougé, mais rien n’a changé !
Les problèmes s’enracinent et les moyens sont toujours plus comptés. Dans ce contexte, l’édifice managérial est toujours plus malléable pour rendre les encadrants corvéables, à commencer par les premiers dirigeants. La SNCF se transforme, le système ferroviaire se complexifie et l’encadrement est sommé de s’engager dans le déni de ses besoins, de ses repères, de ses valeurs comme souvent de son expertise.
Les encadrants sont donc à l’articulation d’orientations idéologiques et des réalités opérationnelles. Une situation qui les place dans une crispation quasi-permanente pour rendre acceptables et applicables des orientations tellement contradictoires avec le travail réel.
Les politiques à l’emporte-pièce nous obligent à contredire des évidences propres à chaque métier puis, devant les fiascos mesurés, à se dédire devant nos équipes. L’exemple des RET (Responsables Équipe Train) lors de la mise en place de l’accueil-embarquement est édifiant. On leur a demandé de mettre un terme au contrôle à bord, orientant les ASCT vers des logiques de service sans lien avec leur métier et le sens de leur présence dans les trains. Puis, devant le constat de l’explosion de la fraude, l’entreprise demande alors aux RET de se dédire et de rétablir le contrôle à bord.
Il en va de même de la marche forcée vers la sous-traitance ou du démantèlement en règle de la ligne hiérarchique. Chez Réseau, Maintenir Demain alors qu’Aujourd’hui ne tient pas debout !
Autant de stratégies aveugles qui rejettent sur l’encadrement de terrain des responsabilités qui ne sont pas les siennes. Celles de tordre le travail tout en produisant des résultats de plus en plus abstraits pour prolonger cette comédie de la mobilité à la SNCF.
La matrice libéralisation, dérégulation, ouverture à la concurrence conduit à un éclatement du système ferroviaire. Elle vise d’abord à dégager l’État de ses responsabilités sur l’avenir du rail public. Une fois la colonne vertébrale publique retirée, elle jette chaque pan de l’entreprise publique dans les nouvelles prédations (rentabilité, rationalisation, renoncement) du modèle ultra-libéral. À ce jeu, il ne reste qu’à celles et ceux qui sont attachés aux réalités sociales du chemin de fer au quotidien d’agir pour garantir des réponses fiables. L’action de la CGT et d’un grand nombre de cheminots, d’usagers, grâce aux multiples associations de défense du ferroviaire qui se créent, permet de faire bouger quelques lignes et certaines collectivités locales pallient, avec plus ou moins de réussite, les carences de l’État.
L’acharnement à déconstruire le rail public passe par la révision incessante de l’organisation de la production et du travail des cheminots.
REPORTING, COMMENT DÉPOSSÉDER L’ENCADREMENT DE SON RÔLE D’ARBITRAGE
Quand on décrypte ce culte du reporting, on mesure alors comment on s’éloigne toujours plus d’une compréhension et d’une analyse de l’organisation de la production qui partent des besoins et des conditions objectives d’exercice de chaque métier et du fonctionnement des services.
C’est une stratégie d’aveuglement qui se met en place. C’est ce qu’exprime le psychiatre Bernard Granger dans sa récente tribune « Excel m’a tué ». Il explique comment « on nous pousse dans un pilotage de la transformation, là où il faudrait une transformation du pilotage ». Le déni de réalité sur l’organisation se joue dans la politique de reporting et son renouvellement constant qui « assure sa domination non pas en exigeant des données fiables ou contrôlées, mais se satisfait de ce que chaque case soit remplie ».
La posture vise à ce que chaque représentation chiffrée s’auto-justifie. On refuse d’en évaluer les conséquences dans la réalité et donc de reconsidérer un choix, une stratégie inopérante.
À chaque nouveau problème, sa nouvelle architecture de reporting et son lot de réunions chronophages ; des outils de reporting évoluant sous des formes plus ludiques générées par des systèmes numériques de plus en plus autonomes. Cela conduit à produire une représentation chiffrée, normée, mais déconnectée du travail réel. Cette perte de compréhension des pratiques métier et de l’expérience conduit à remettre en cause le jugement professionnel de l’encadrement. Si la parole de l’encadrement était entendue et respectée, nous aurions échappé à nombre de décisions délirantes dans l’entreprise.
QUE FAIRE ALORS ?
Pour la CGT, la responsabilité de l’encadrant prend sa source dans la délégation de pouvoir qu’il reçoit de l‘employeur. Souvent choisi pour son expérience et son parcours professionnel, le personnel d’encadrement doit, pour bien remplir son rôle, définir le sens de sa tâche dans l’organisation et la place de son service et de ses équipes dans le système. Il doit donc connaître la finalité et l’ambition qu’on lui confie et construire une stratégie en négociant les moyens pour la mettre en oeuvre.
Il y a deux moments particuliers pour cela. Le premier doit être le dialogue qui doit se tenir lors de la signature annuelle des délégations qui nous sont confiées. En retraçant la trajectoire de la feuille de route, on ré-évalue et réactualise avec son dirigeant le contexte et les éléments structurant de la délégation (missions, moyens, compétences, évolutions, innovations, etc.). La délégation de pouvoir est un moment singulier où se joue en direct le rôle contributif de ces personnels avec leur plus haut dirigeant. Cet exercice devrait se faire dans un cadre plus collectif sur l’ensemble d’un établissement ou d’une entité. Pour la CGT, l’encadrant doit pouvoir s’exprimer à tout moment sur les décisions de l’entreprise.
Le deuxième moment pour arbitrer les conditions d’exercice du poste d’encadrant est l’EIA. S’il revêt une dimension plus personnelle, il doit être le moment privilégié pour faire un état des lieux du travail réel. À cette occasion, Il est impératif de peser l’adéquation entre les exigences faites à l’encadrant et leurs effets sur ses conditions de vie et de travail.
Quels que soient notre fonction ou notre niveau hiérarchique, nous sommes salariés, et donc soumis au pouvoir d’organisation de l’employeur. La mise en place du forfait jours, l’échec du droit à la déconnexion dans notre entreprise tendent à masquer les effets réels de la charge de travail sur l’encadrement.
LE CADRE SOCIAL DE LA BRANCHE FERROVIAIRE : BOMBE À RETARDEMENT DU DUMPING SOCIAL
La création de la convention collective nationale (CCN) de la branche ferroviaire touchera tout le monde dans le secteur, les cheminots de la SNCF tout autant. Dans l’encadrement, la fin du recrutement à statut crée un effet d’aubaine pour la SNCF. Après avoir abrogé le RH0254 et bientôt ses annexes, l’entreprise dispose donc d’une population active dans tous les collèges qui se verra appliquer les dispositions de la CCN.
Prenons un exemple simple : lors d’un transfert vers une filiale, un agent relevant de l’accord forfait jours du GPU SNCF à 205 jours/an pourra se voir imposer un forfait jour disposition CCN à 217 jours/an. Qui peut croire que le patronat s’en privera ? À l’heure de la violente cure d’amaigrissement des effectifs de l’encadrement, les fameux frais de structure, quelle garantie que la SNCF ne dénonce pas son propre accord en interne ?
Un autre avenir est possible !
Nous, encadrant·e·s syndiqué·e·s à l’UFCM-CGT, sommes disponibles, avec nos structures syndicales spécifiques, pour gagner ensemble les moyens de reprendre la main sur notre travail et faire entendre l’expertise et la contribution quotidienne qui est la nôtre.
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